Une nuée de moustiques est restée au dessus de la tente une bonne partie de la nuit. Leurs bourdonnements ont fini par nous bercer dès vingt-et-une heures. Le réveil commence dès sept heures moins le quart. A mesure que le soleil monte, les moustiques disparaissent. Nous rangeons nos affaires et retournons nous baigner.
Nous quittons le lac et prenons la direction de Tashkent, la capitale ouzbek, afin de réceptionner le colis. Nous nous arrêtons à Gagarin, ville ayant été nommée après le cosmonaute, dernière bourgade avant la frontière kazakh. La route la plus courte serait de passer en ligne droite à travers le Kazakhstan mais l’idée de traverser deux postes frontières en l’espace de quarante kilomètres nous fait très vite déchanter. Nous longeons donc la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.
Premier pause dans une petite épicerie au bord de la route, un local nous propose de venir déjeuner chez lui. Nous préservons notre système digestif et refusons. Nathan raconte tout de même notre plan de route qui passerait par la Corée. Notre interlocuteur a un ami qui vit à Busan, deuxième plus grosse ville coréenne. Cela me met la puce à l’oreille.
En effet, ce n’est pas le premier lien entre les deux pays que nous observons. Il existe par exemple une usine Daewoo sur le territoire ouzbek, la plupart des voitures importées sont des Kia ou Hyundai. De plus, nous avions remarqué une installation de panneaux solaires donnée par une entreprise coréenne dans la banlieue de Samarkand et des ambulances financées par le gouvernement coréen à travers le territoire.
Je décide donc de creuser un peu plus loin. À la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, la Corée est une colonie japonaise. Des coréens frontaliers fuient l’occupation et s’installent sur l’empire russe puis l’URSS. A la fin des années trente, le sentiment anti-japonais atteint son paroxysme en URSS, notamment dû à la guerre entre l’empire russe et celui du Japon quelques décennies plus tôt. Staline et son entourage décident donc de déporter cent soixante-dix milles familles frontalières d’origine coréenne vers l’Asie centrale et plus particulièrement l’Ouzbékistan. Elles sont accusées d’espionner pour le compte de l’empire japonais alors qu’elles fuyaient initialement son occupation.
De nos jours, ils resteraient environ deux cent milles descendants de ces familles en Ouzbékistan. De ce fait historique est né un partenariat économique et culturel étroit entre les deux pays. La Corée, du sud cette fois, est d’ailleurs le premier pays à avoir reconnu l’Ouzbékistan en tant que pays lors de la chute de l’URSS. Anecdote amusante, le plus gros projet bilatéral est l’exploitation gazière d’Ustyurt que nous avions photographié le huit mai, notre troisième jour en Ouzbékistan. Le projet coûta quatre milliards de dollars.
Fin de l’aparté, nous reprenons la route. Finies les routes de campagne, nous arrivons sur une intersection, qui n’en est en fait pas une, de deux quatre voies. Nous devons en traverser une pour accéder à l’autre. Chose qui s’avère difficile étant donnée la densité du trafic. Un membre de la police de la route décèle notre embarras et bloque les voies l’espace d’un instant, merci à lui!
Nous approchons la capitale: le revêtement s’améliore visiblement, les automobilistes accélèrent et la circulation se densifie. Au bord de la route, des marchandes de glace stationnent à intervalles réguliers. Les crèmes glacées sont vendues depuis une glacière faite d’une fine couche de polystyrène. Il fait encore trente-six degrés en cette fin d’après-midi, l’installation fait naître de nombreuses interrogations concernant la logistique du système. Malheureusement, nous n’avons, pour l’instant, pas de réponses.
Nous nous arrêtons au bord d’un chemin agricole et établissons notre campement. Le rechaud fait de nouveaux des siennes, nous cuisinons au feu de bois dans un fossé pour être plus discrets.