Au moment où nous allions nous endormir, une voiture de police s’est arrêtée sur la nationale au niveau de notre campement se situant à une cinquantaine de mètres de la route. Ils donnent un coup de sirène, puis un deuxième. Le gyrophare illumine ensuite l’intérieur de la tente. Nous ne sortons pas, eux non plus. Vaincus, ils repartent. Drôle d’interaction!
Nous replions la tente lorsqu’un voyageur à vélo s’arrête. Sebastian, allemand de quarante-deux ans, deux mètres et un quintal (ces détails deviendront importants pour la suite), a eu vent de notre présence et s’est levé aux aurores pour nous rattraper. Il se fait un café pendant que nous rangeons tout notre barda. Il est onze heures et nous partons tous les quatre.
Nous n’avons pas fait vingt kilomètres que Nicolas crève. Décidément, il collectionne les morceaux de limaille. Nous changeons de chambre à air et réparerons l’endommagée plus tard.
En contresens, un motard nous dit bonjour et s’arrête. C’est un ukrainien qui a traversé les montagnes du Pamir et s’apprête à faire le tour du Caucase. Il confirme nos suspicions, la frontière entre le Tadjikistan et le Kyrgyzstan est fermée pour cause de conflit entre ces deux pays. Fuit-il la guerre? Personne n’ose lui demander.
Nous nous disons au revoir et il nous prévient que dans notre direction c’est pluvieux. Cela ne manque pas, nous ne passons pas au travers de l’averse.
La pluie ne montre pas de signe de faiblesse alors que nous approchons le village de Tolep pour un ravitaillement. Une voiture de police nous arrête pour un contrôle de passeports à un kilomètre du hameau. Les deux policiers prennent des photos de notre groupe à tour de rôle. Bien sûr, il nous est interdit de les prendre en photo. Ils nous apprennent toutefois qu’un ravitaillement ici sera impossible. Selon eux, il n’y a pas de magasins en ville. Demi-tour donc pour nous arrêter sous un abri bus et puiser dans nos dernières réserves: pâtes asiatiques crues, cacahuètes et gaufrettes.
Durant notre déjeuner de fortune, un quatre-quatre s’arrête. Deux hommes en descendent. Ils résident à Aktau et vont travailler sur le site pétrolier de Tengiz, au nord est de la mer caspienne. Ils nous apprennent qu’avant la guerre, le pétrole était acheminé jusqu’en Russie par oléoduc. La Russie, n’écoulant plus sa production à l’étranger à cause du conflit, est devenue autosuffisante et a coupé le robinet en prétextant des problèmes techniques. Le brut extrait à Tengiz est dorénavant acheminé en train jusqu’à Aktau où il prend le bateau pour Baku et l’Europe. Cela explique le traffic incessant sur le chemin de fer que nous longeons depuis maintenant cinq cents kilomètres.
Nous repartons, la pluie cesse, le vent se lève. C’est trois quarts face, nous sommes à seize kilomètres à l’heure sur du plat. Une voiture s’arrête devant nous pour prendre une photo. Le conducteur essaie de nous refiler de la lessive, du liquide vaisselle et de la crème pour les jambes. Nous négocions de ne prendre que cette dernière. Une traduction plus tard, cela se révèle être de la crème pour les jambes lourdes à l’extrait de sangsue.
Je fais le plus gros des relais avec l’aide sporadique de Nathan et Nicolas. L’allemand tente sa chance une fois mais cela ne dure que quelques hectomètres. Il se plaint d’être un “sac à vent”. C’est ça le vent de face, l’ami.
La route ou le vent tourne pour les vingt derniers kilomètres et des cordes se remettent à tomber. Nous arrivons à Beyneu et à l’hôtel. Je vais pour payer, Nicolas s’abrite de la pluie, son vélo tombe, nouvelle manette de dérailleur cassée. L’allemand a pulvérisé son record de kilomètres parcourus en une journée, chose facile quand on reste caché derrière les copains. Il nous invite au restaurant pour nous remercier. Ce n’est pas de refus.