La nouvelle tombe, les frontières terrestres avec l’Azerbaïdjan sont fermées sous prétexte de covid 19. En réalité, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont en conflit à propos d’un territoire azerbaïdjanais où réside des arméniens: le haut Karabagh. La Géorgie se veut un médiateur neutre dans le conflit mais est dépeinte comme un allié de l’adversaire dans les deux pays. Pour renforcer ce mensonge, l’Azerbaïdjan a donc décidé de fermer la frontière en direction de son pays. La ministre des affaires étrangères française visitera d’ailleurs ces trois pays dans la semaine à la recherche d’une solution diplomatique.
Nous sommes donc bloqués en Géorgie: l’Azerbaïdjan est fermé, l’Arménie est une voie sans issue à cause du conflit, nous venons de Turquie et je ne parle pas de la Russie. Nous décidons d’enjamber l’Azerbaïdjan et la mer caspienne par la voie des airs. Le vol est pour samedi.
Les billets d’avion achetés, nous prenons la direction du musée de Staline, Gori étant sa ville de naissance. Le musée semble comme figé dans l’époque de l’URSS. Un escalier de marbre orné d’un tapis rouge central avec en fonds une statut de Staline nous accueille. Ce sont ensuite d’épais rideaux rouges qui guident notre visite. Une odeur de vieilleries enfermées émane de chaque pièce, ce sont des présents diplomatiques que Staline a pu recevoir lors de son règne. Mais là n’est pas l’intérêt du musée. Nous naviguons les traces de sa vie, les commentaires étant plus souvent en géorgien ou en russe qu’en anglais. Le voyage débute avec son éducation dans une école orthodoxe qu’il finit par quitter pour devenir athée puis ses débuts dans la lutte ouvrière à Tbilisi. Ensuite, le musée couvre son ascension à travers les rangs du parti bolchevique, le passation de pouvoir après la maladie et la mort de Lenine. Plus loin, on nous conte le basculement dans la dictature et le totalitarisme, la chasse aux opposants politiques et son changement d’alliance durant la seconde guerre mondiale. Enfin, son déclin physique et sa mort sont abordés avec un de ses douze masques mortuaires. Certains aspects restent toutefois inabordés ou peu couverts tels que les famines provoquées par sa politique ou les relocalisations forcées en Asie centrale.
Nous ressortons avec l’impression que le musée vend Staline comme un héros plus qu’un dictateur. Dehors se trouve sa maison de naissance conservée telle quelle et son wagon personnel qu’il a notamment utilisé pour se rendre à la conférence de Yalta où le sort de l’Allemagne post seconde guerre mondiale fût décidé.
Il est treize heures, nous sortons du musée et nous mettons en route. Vingt kilomètres plus tard, la pluie nous rejoint. Elle est tolérable sur plusieurs dizaines de kilomètres. Nous décidons de faire une pause déjeuner en espérant que cela passe. Nous mangeons sous un abris bus au carrefour d’une route de carrière. Le va-et-vient incessant des camions-bennes anime notre repas.
Il est l’heure de repartir, il pleut davantage et il nous reste soixante kilomètres. Nous prenons notre courage à deux mains et repartons. Baroud d’honneur pour nos couvre-chaussures qui ne nous auront pas été d’une grande utilité ces quatre derniers mois étant donné qu’ils ne maintiennent pas nos pieds au sec. Les kilomètres défilent lentement, nos chaussures se remplissent d’eau au même rythme.
Nous passons le village de Mtskheta qui paraît charmant même sous la pluie, c’est dire. Étant données les conditions nous ne nous arrêtons pas. Nous apprendrons plus tard que c’est l’une des plus vieilles villes continuellement habitées d’Europe, datant de mille avant notre ère.
Nous prenons un raccourci à travers un parc à la sortie de la ville. Tous les chemins sont bien sûr inondés. Nous faisons passer nos vélos dans des flaques de dix centimètres. Nous traversons une rivière par un petit pont et dérangeons trois pêcheurs téméraires et nous voilà sur l’autoroute. Nous ne restons sur la bande d’arrêt d’urgence, qui est en tout terrain, sur seulement un kilomètre avant de sortir.
Nous sommes maintenant sur une sorte de périphérique qui doit nous amener à la capitale Tbilisi. Des pluies diluviennes s’abattent sur nous. Sur la voie de gauche, des véhicules soulèvent des tsunamis qui inondent les premiers rameaux des pins bordant la route. Entre leur vitesse et les imperfections de la route, les quantités d’eau soulevées sont tout à fait spectaculaires. De notre côté, les automobilistes ralentissent mais nous détrempent le côté gauche malgré tout.
Nous arrivons en centre ville et la pluie s’arrête enfin. Les bouchons paralysent les véhicules tandis que nous faisons de l’interfile et progressons plus vite qu’une ambulance en intervention.
Nous arrivons dans notre logement arsouillés, une douche et au lit.