Nous reprenons la route sous une pluie fine qui se dissipe à mesure que nous prenons de la hauteur.
La chaussée reste malgré tout détrempée. Chaque camion qui passe est une session de brumisation avec un mélange d’eau et de poussière.
Nous avons recours aux écouteurs pour nous divertir mais surtout pour assourdir les poids lourds. Je commence à communiquer avec des signes. Chaque événement est traduit:
Ça gueule derrière comme quoi ils ne comprennent pas tout. Je m’amuse, je continue.
Nous rencontrons nombre d’étales saisonnières sur lesquelles les melons jaunes de la saison précédente sont laissés à pourrir.
La première difficulté de la journée derrière nous, nous attaquons quelques descentes sur lesquelles les chiens errants nous évitent.
Nous profitons d’un vent dans le dos (ou trois-quarts dos) sur quasiment toute la route. C’est assez rare pour le préciser. Les quatre-vingt-dix premiers kilomètres sont peut-être les plus faciles du périple.
Nous arrivons à Akhisar, il est seize heures. Nous faisons des provisions et avalons un gros en-cas. Nous repartons quarante-cinq minutes plus tard. La valse des “taxis scolaires” bat son plein. Ici, les écoliers sont transportés de la porte de leur habitation jusqu’à celle de l’école par une flotte de mini bus. La circulation est donc extrêmement densifiée lorsque la fin des cours sonne. Nous naviguons les embouteillages et sortons de la ville.
Le vent nous porte toujours et nous apprécions une éclairci rapide comme l’éclair. En revanche, la bande d’arrêt d’urgence rétrécit. Dans la région, elle est sculptée pour alerter les automobilistes qui se déporteraient en s’assoupissant.
Ajouté à cela le fait qu’ici les routiers ne s’arrêtent pas, ils urinent dans des bouteilles d’eau qu’ils jettent par la fenêtre de leur véhicule. La route devient un parcours d’obstacles.
Le vent, notre allié du jour, est toujours là et il nous permet de grignoter les kilomètres petit à petit. Nous arrivons à Manisa à la tombée de la nuit. Nous devons faire un choix: dormir là ou pousser jusqu’à Izmir qui se situe à trente kilomètres.
Nous décidons de continuer. Il reste toutefois une difficulté de taille. Rejoindre Izmir, c’est une montée de neuf kilomètres à cinq pourcents de moyenne pour passer la montagne.
Nous arrivons devant un tunnel de quatre kilomètres sensé abréger nos souffrances. Nous approchons de l’entrée quand une voix retentit aux haut-parleurs. Avec le vent mais surtout le fait que nous ne parlions pas turc, nous ne comprenons rien. Nous avançons, la voix retentit de nouveau. Nous arrivons au niveau d’un haut-parleur et déchiffrons le mot “bisiklet”. Plus de doute, on parle de nous. Nous passons les vélos par dessus les rails de sécurité et faisons demi tour dans l’évacuation d’eau. Nicolas fait d’ailleurs tomber son vélo en contournant une barrière qui a été abandonnée là.
Pour nous ce sera le “col” à 542 mètres d’altitude. Le seul avantage étant que nous avons les trois voies pour nous, les autres véhicules prenant le tunnel.
Nous descendons vers Izmir et évitons les camions ayant terminés leurs plaquettes de frein.
Nous sommes accueillis par un labyrinthe bétonneux de routes allant de cinq à sept voies.
Il est vingt-deux heures quinze, nous prenons le premier appartement disponible. Il est au cinquième, l’ascenseur est trop étroit pour loger un vélo.